Une histoire… incestueuse
Tu es morte avant de pouvoir dire ce qu'est l’inceste. Si inceste il y avait eu, toi en première aurais dû le dire, le réclamer, le hurler. Moi, je ne suis que le père. Toi, par contre, tu avais le devoir de dénoncer les attouchements, les pénétrations ensuite, les perversités que j’aurais appliquées/ infligées à ta fille. La nôtre. La mienne. Après ta mort.
Tu t’es suicidée avant que tout cela n’arrive, cependant. Tu t’es pendue. À peine as-tu laissé un mot égratigné sur le dos d’une feuille de papier déjà utilisée. Un mot neutre. Personne ne devait être soupçonné d’avoir été « la cause » de ton auto-mort. Cela nous a blessés nous autres encore plus. Il nous fallait un coupable. Normal, non ? Un coupable, ou plutôt un responsable. Ou plusieurs. Si ! Des responsables pour ton geste. Hormis toi, naturellement. Car personne d’autre que toi ne t’a mis le nœud autour du cou. C’est toi seule qui ait poussé la chaise de sous tes pieds. Toi seule qui te sois congestionnée, étranglée, étouffée jusque la mort survienne, s'en suive, s’installe, tue.
Cela étant, ta fille, la mienne, la nôtre, est restée seule. Personne d’autre que moi comme famille. Mai quelle famille pourrais-je être, moi ? Et pour qui ?
Mon rôle, lorsque j’ai affaire à une femme, ne peut être autre que de la baiser. Me l’approprier, la faire mienne. La baiser. Baiser, tout court. Comme le chat, la chatte ; le taureau, la vache ; l’étalon, la jument ; le coq, la poule ; et ainsi de suite – beaucoup.
Serait-il quelque chose de sérieux, l’inceste ? Au nom de quoi ?
- Tu es morte.
Ta fille (la mienne, la nôtre) s’est retrouvée seule. Moi aussi.
Elle se dit, comme moi, d’ailleurs, qu’elle a toujours été ainsi, irrémédiablement, irréductiblement seule.
Ta mort n’a été qu’un piètre révélateur, qui nous a blessés inutilement et injustement. Quoi faire dans ce cas – sinon baiser ? Même sans se toucher. Même sans jouir. Même sans y penser.
Pour les animaux, l’inceste n’existe même pas. Pour les robots munis de leur pouvoir d’auto-reproduction à n'en pas en finir, pareil.
Alors ? Pourquoi tu nous a laissés seuls ?
Pourquoi tu es morte ?
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