Moi, elle, qui ?
À Liana et à sa fille Raluca
Elle me regarde. Je la regarde. Nous parlons. Pour dire n'importe quoi. On ne se connaît pas. C'est la première fois qu'on se voit. C'est la première fois qu'on se parle. On ne peut se dire autre chose que du n'importe quoi. Il faut occuper l'espace, le temps. Il faut attendre la baisse du stress. La découverte des liens communs.
Sa mère est morte. À Rome. Elle s'est suicidée dans son appartement. Elle était assignée à domicile. Va savoir pourquoi. Elle était infirmière à la prison de Rome. Elle s'est pendue.
La rencontre avec le procureur a été plus qu'éprouvante. Il a refusé de lui remettre la lettre laissé par sa mère. Servait-elle de boîte postale pour détenus ? Pratiquait-elle l'euthanasie ?
Sa mère. Sa fille. Ma fille.
Notre séparation, de sa mère et de moi, fut amorphe. Elle avait obtenu ce qu'elle voulait, un enfant ; de surcroît une fille. Elle n'avait plus besoin de moi, l'étalon. Moi non plus je n'avais plus besoin d'elle, la chatte individualiste fertilisée.
Alors, logiquement, sa fille et moi, ma fille et moi on ne s'est jamais vus. On ne s'est jamais écrit.
C'est le notaire qui a trouvé mon adresse.
Je n'ai aucune prétention à l'héritage. Même s'il n'était pas négligeable.
Mais ce n'est pas la question.
Face à moi, ma fille me regarde comme si elle voulait devenir ma fille. Ou, comme si je pouvais devenir son père. Si je pouvais l'être. Elle se demandait qu'est-ce qu'un père.
Un père, moi.
Moi ? Qui moi ?
Ma fille, elle.
Elle ? Qui elle ?
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