Avant Propos
Une fois au sommet de la Tour Eiffel, une question s’impose :
- Sauter ou pas sauter ?
Ne pas sauter, enlèverait tout sens à l’ascension. Sauter, par contre, susciterait des tonnes d’autres interrogations à qui mieux mieux plus compliquées, biscornues, farfelues, capables d’escamoter la question mère, voire de l’écraser.
- C’était la réalité psy qui m’a envahi en regardant la petite vieille, ratatinée, myope, peut-être même aveugle, qui regardait je ne sais pas quoi, de là-haut, des cimes eiffeliennes, parisiennes…
- Et alors ?
Caron et la Tour Eiffel.
- Difficile de se glisser sous la peau d’un autre.
- Le bidasse qui fait passer et qui dépose les zozos de « l’autre côté » ? - Lui-même, qui achemine toutes sortes de cocos et de zèbres vers l’au-delà ; qui regarde et enregistre le passage de l’existence vers l’inexistence ; qui, enfin, passe lui-même, au retour, de l’inexistant vers l’existant ; – peut-être.
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- Prenons comme exemple le cas de Caron.
- Qui – pour s’occuper de ce qui se passe dans une âme pareille ?
- Vous allez me demander, peut-être, quel pourrait être l’intérêt de s’y intéresser ? Vous aurez, naturellement, raison. Combien d’entre nous partagent le sort de ce Caron ? Mille ? Cent ? Dix ? Un ? Aucun ? - Aucun ! - Il n’y a pas des Caron parmi nous. Il ne peut pas y en avoir. Dans le camp de l’existence, (où nous autres flottons tous) l’inexistence nous est interdite. Elle n’y est, au mieux, que pressentie. Jamais sentie. - D’autant moins vécue. - Caron, lui, par contre, il y touche. - Peut-être !
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- Il passe d’une rive à l’autre, chargé (dans une direction), vide (dans l’autre), sorte d’éboueur d’âmes, de madame-pipi-du-monde avant la lettre.
- Et il y observe les changements subis par ses passagers...
- Comme un photographe qui, tout en aidant ses sujets à s’immortaliser... (si, si !... s’immortaliser, ne pas mourir, ne plus mourir… sur la pellicule) observe leur rigidité de plus en plus évidente, leur nécrose de plus en plus avancée.
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- Des soupirs et des larmes.
- C’est ce qu’on dit pouvoir – avoir à – trouver dans l’empire souterrain.
- Des soupirs et des larmes éternels.
- On le dit sans se demander pourquoi ; sans s’interroger sur la souffrance des passants, sur la souffrance des... trépassés (...des... très-passants ?), sur la souffrance des disparus.
- On ne peut pas s’y interroger, nous autres.
- On n’est pas des disparus, nous autres, quand même !
- Tandis que lui, si, Caron, le tantôt disparu, le tantôt apparu, l’éternel transgresseur, le monotone volte-faceur entre l’existant et l’inexistant, entre 1 et 0 : il les aperçoit, lui, les disparus ; il les touche ; il touche à leur souffrance ; qu’il oublie lors de son retour au monde – pour pouvoir y retourner.
- Quant à eux, ils l’aperçoivent et ils le touchent, lorsqu’ils lui payent le passage – avant de toucher à la disparition, à leur propre disparition...
- Ils deviennent, ils parviennent à être, ils sont tous (depuis longtemps, depuis toujours), nous sommes, nous autre, tous, des disparus !
Post propos
Après avoir articulé ces mots, la vieille ricana. Aigu. Avec beaucoup de joie. Elle parait être en paix avec elle-même, très souriante : rictus-isante. Elle donnait l’impression qu’elle allait se dissiper, dépressive et désinvolte, dans l’air pur qui, tel qu’un nuage de smog, flottait autour de la Tour Eiffel, juste en dessous du gland de celle-ci. C’était tout. Et rien d’autre.
- La folie, par exemple, la bêtise, l’inutile !
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